dimanche 29 octobre 2017

Procession de fantômes


C'était pendant l'apéro ; tout à l'heure (ce qui explique peut-être le flou de la photo : le pouilly fumé se marie parfois assez mal avec les exigences de l'art). Le renard a été acheté il y a déjà une semaine par Catherine : son idée était de le frotter contre le poil de la mère de Charlus, afin d'adoucir, si possible, l'arrachement qu'allait subir l'enfant canin ; ce fut fait ce matin. Le chiot, une fois arrivé, s'est jeté sur ce substitut, comme on peut le voir ; mais ce n'est pas ce que j'avais l'intention de raconter.

Un peu plus tard – le pouilly menaçant extinction, je venais d'ouvrir un flacon de sancerre –, des fantômes se sont levés, réclamant leur droit à mon attention. Déjà, ayant à peine changé de position, Charlus avait cessé de ressembler à un chien en bas âge, pour muer en une sorte de créature fantastique, bien que rigoureusement endormie, qui tenait du rat des champs, ou du hamster géant, qu'un mauvais tour de la nature aurait affublé d'une tête de petit singe mort : c'était assez perturbant.

Le fut encore davantage l'apparition, en fantômes translucides, de Swann et de Bergotte, à la place précise où se trouvait l'arrivant. Swann parce que c'est là que se trouvait le panier où il a passé les dernières années de sa vie, et Bergotte pour une raison assez semblable. Ils ne paraissaient pas, l'un ni l'autre, nous en vouloir de cette intrusion, de ce piétinement juvénile de leurs anciennes plates-bandes. Mais, tout de même, flottait dans leurs regards – qui ne me voyaient pas – quelque chose qui s'apparentait à un “j'en étais sûr” à l'arrière-goût un peu de nostalgie.

Quant à Balbec et Elstir, les jumeaux suisses qui ne se sont jamais connus, on les sentait prêts à offrir leurs services de médiateur, sans daigner pour autant bouger de leurs paniers célestes.

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