lundi 16 novembre 2009

Désolé, mes frères humains...

Je pense que c'est normal. Cet écartèlement entre l'indifférence et l'attendrissement. Je parle du “petit dernier”. Il vient d'entrer, il ressemble à une pataude peluche, chaque demi-journée qui passe le fait changer, on le voit être plusieurs, à l'œil nu, quand les deux autres, bien sûr, sont déjà devenus ce qu'ils seront jusqu'à la fin. Eux, la seule chose qui changera radicalement notre rapport cyno-humain, ce sera leur mort – on a l'expérience. Mais jusque là, tranquilles.

Elstir, c'est différent. On ne l'aime pas encore. Il amuse, dérange, attendrit, agace, rajeunit, horripile, fait fondre – la multiplicité des verbes vous fait comprendre le fond de la question : on ne l'aime pas encore. Un de ces jours on l'aimera. Impossible de dire quand, de toute façon on ne saura pas.

J'assume très bien le ridicule de ce que je suis en train d'écrire : depuis une semaine, mon existence quotidienne a changé en raison de l'arrivée de ce chien, de ce bébé chien, de ce... le mot "chiot" par exemple me gêne parce qu'il ne correspond à rien de ce que je vis : encore plus ridicule, donc. Pourquoi mon existence change-t-elle ? Je ne sais pas. Mais il se trouve que, par exemple, ce matin, vers huit heures et le jour se levant à peine, dans mon fauteuil, j'ai laissé Maupassant tomber sur mes genoux juste pour regarder Elstir et Bergotte faire semblant de se prendre au collet – pendant près d'une demi-heure, œil vide, sourire niais, bras ballants : la vie change, je vous dis.

Vingt minutes plus tôt, au lieu de tranquillement préparer le café, j'avais couru partout, un rouleau de papier essuie-tout à la main, en maudissant l'idée que j'avais eu d'accepter chez moi ce petit pisseur et chieur tous terrains. Vingt seconde ensuite, il levait ses yeux vers moi et l'idée qu'il pourrait mourir de la diarrhée qui l'afflige actuellement me tordait les boyaux, à moi.

Mais j'assume très bien ce ridicule. Mieux : je le réclame, je l'invoque, je le revendique. Bien que dénué de son talent, je m'enroule dans la bannière de Paul Léautaud. Je me cache derrière lui, dans l'épaisseur des pages de son journal.

Je ne sais pas très bien pourquoi la souffrance des humains me laisse de plus en plus tranquille, ni pourquoi, conjointement, celle des animaux m'est de plus en plus insupportable (au point d'avoir, il y a six mois, transformé le bouffeur de viande que j'étais en végétarien, et sans un manque, et en étant content), il est possible qu'il y ait du ramollissement cérébral derrière tout cela.

Il n'empêche, c'est ainsi et je veux bien m'en excuser si on me le demande : les yeux des enfants me laissent indifférents, ceux des chiens m'émeuvent. L'écrivant, je ne suis pas particulièrement fier de moi.

14 commentaires:

  1. ramollissement cérébral, je ne sais pas, mais quelque chose de célestien...

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  2. Didier, je souscris entièrement à votre dernier paragraphe, en plus je n'ai pas honte de cette opinion!
    Toujours pas finie cette diarrhée d'Elstir?

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  3. A ce stade, ce n'est plus du gâtisme.

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  4. ChristineB : touché !

    Orage : ç'a l'air fini de ce matin.

    Nicolas : inventez un mot rien que pour moi...

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  5. j'ai toujours trouvé un grand mystère aux yeux des enfants, comme une porte ouverte sur quelque chose qui n'est pas encore là. Pas de mystère dans les yeux des chiens, et vous savez quoi. Pourquoi diable voudriez-vous ne pas être indifférent au regard des enfants ? parce qu'il est de bon ton de s'extasier devant eux ? Ce qui est admirable, c'est d'avoir viré végétarien à cause de la souffrance des animaux. Bien plus louable que de faire des guili-guili aux petits nenfants, lesquels n'ont guère besoin des vôtres.
    Bon, ce que j'en dis... Si vous préférez battre votre coulpe, c'est votre affaire.

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  6. Oh, mais je ne la bats que très modérément ! Du reste, le fait que je me sois placé sous le haut patronage de Léautaud le prouve, lui qui n'était pas vraiment un batteur de coulpe (ni de poulpe, d'ailleurs).

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  7. Sa confiance et son amour sont à la vie à la mort. C'est ce que je voyais tous les jours dans les yeux de Jasmine, et seulement dans ses yeux.
    Attendez qu'il vous aime le premier, ça ne saurait tarder.

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  8. Je crois bien qu'il préfère Catherine, ce p'tit con ! Elle ne peut plus faire un pas sans qu'il trotte sur ses talons.

    Moi, évidemment, je suis tout juste bon à ramener la paie à la maison, comme d'hab ! pfff...

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  9. Je savais bien que tu m'en voudrais. Je vais illico le porter dans ton bureau. À lui, la chaufferette, les fils qui pendouillent et la livebox !

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  10. En tant qu'enfant et ancienne colloc de Jasmine, je m'interroge ...
    Sinon, pour les débordements canins, rien ne vaut la litière pour chat ! (un héritage pratique des parents Castor)

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  11. Si vous saviez combien cet article me parle ! J'en ai été touchée aux larmes...

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  12. Agathe : ça marche vraiment, la litière pour chats ?

    ElleN : ravi de vous avoir plu...

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